Pour un nouveau compromis historique entre l'Etat et les collectivités locales

C’est l’article premier de notre Constitution qui le pose comme principe fondamental. La France est une République décentralisée. Mais depuis 1982, qui reste l’Acte I de la décentralisation, que s’est-il passé ? N’a-t-on pas, chacun, le sentiment, d’un grand trompe l’œil avec l’Acte II, puis d’une intention brouillonne et volontairement inaboutie avec l’Acte III ? 

1982, seul véritable acte de décentralisation ? A-t-on fait plus que la fin du contrôle a priori des collectivités locales, les fonctions exécutives attribuées aux élus, la transformation des régions en collectivités de plein exercice ou des transferts de compétences aux trois niveaux de collectivités ?

Depuis lors, nombre de textes ont participé à ce mouvement, ont retouché l’équilibre mais, en réalité, en droit ou en fait, ont maintenu une relation de dépendance entre les collectivités et l’Etat. Recentralisation, diminution des ressources propres et des dotations globales, compensation insuffisante des charges transférées, complexification des normes et des procédures, et corrélativement, mise en place de dotations spécifiques, etc, …la réalité est douloureuse !

Or nous sommes à la veille du débat au Parlement d’un projet nommé 3D pour « décentralisation, déconcentration, différenciation ». Cette nouvelle étape va-t-elle enfin donner corps à la République « décentralisée » que pose notre Constitution et tracer les contours d’un véritable pacte girondin ?
Rien n’est moins sûr. C’est pourquoi nous lançons un cri d’alerte. Constructif.

En 2019, près de la moitié -110 Md€- des ressources des collectivités dépendent de transferts financiers en provenance de l’Etat (fiscalité, dotations diverses ou subventions sur projets). Ainsi, au-delà des discours, voire au-delà des textes, la liberté des collectivités reste-t-elle soumise aux orientations fixées par le gouvernement.

Désormais, les excès et les erreurs, réels, des débuts de la décentralisation sont loin et les élus locaux sont des décideurs et des gestionnaires responsables, qui construisent et portent réellement les projets de leurs territoires. Leurs administrations se sont aguerries et leurs cadres, du plus bas au plus haut niveau, adhèrent aux mêmes valeurs que leurs collègues de l’Etat.

En 2019, près de la moitié -110 Md€- des ressources des collectivités dépendent de transferts financiers en provenance de l’Etat.

Les finances des collectivités sont saines, leurs dettes faibles et les règles qui les encadrent (l’obligation d’équilibre des budgets en particulier) constituent une véritable garantie contre les dérapages. Il est temps que la loi prenne en compte cette évolution et définisse, en reconnaissant leur diversité, un nouveau cadre d’exercice de leurs compétences et de maîtrise de leurs moyens.

Implicitement, cela signifie qu’il faut ramener le rôle de l’Etat à ce qu’il doit être, c’est-à-dire vérifier le respect des lois mais pas contraindre, par des normes techniques ou par l’appât d’une subvention, le choix fait par des élus en responsabilité. C’est aussi éliminer les doublons entre administrations d’Etat et administrations des collectivités. Le cap a été donné en matière de développement économique ; il faut le suivre et, sous l’empire de la transition écologique –une opportunité formidable-, reproduire la démarche en matière d’aménagement du territoire, d’urbanisme, de logement, de transports, d’éducation ou encore de santé. La subsidiarité, si chère aux Etats de l’Union Européenne, doit prévaloir pour que chaque citoyen sache qui, parmi ses représentants, est responsable de quoi. Fondamental !

Reconnaître la diversité des territoires et poser le principe que le cadre d’exercice des compétences peut être différent d’un bout du pays à l’autre est un exercice difficile au regard de notre histoire. Notre République prône l’égalité et notre organisation territoriale correspond encore à une France rurale et homogène. Les révolutions, industrielle, aujourd’hui numérique et écologique, ont bouleversé ce panorama ; la France est désormais urbaine, les territoires au sens des bassins de vie ou des bassins d’emploi, ont connu des développements hétérogènes mais sont totalement interconnectés Il convient de la reconnaitre par le droit et d’accepter que le principe général d’une compétence décentralisée puisse être adapté et exercé différemment en fonction de la réalité des territoires.

La France est désormais urbaine.

Assurer aux collectivités la maîtrise de leurs moyens, financiers mais aussi humains, constitue la seule véritable reconnaissance de la pleine responsabilité de leurs élus. Capacité à lever l’impôt ou mise à disposition d’une part d’impôt national, le débat doit être ouvert. L’exemple allemand de collectivités fortes dotées d’une part d’impôt national témoigne qu’une autre voie est possible.

L’essentiel tient à ce que la dynamique de la ressource dont dispose une collectivité soit en accord avec celle de l’exercice de ses compétences. Ensuite, c’est au législateur qu’il revient de valider les évolutions, l’équilibre entre les financements dévolus à l’Etat et aux collectivités locales. Comme il existe une loi de finances pour l’Etat, une autre pour les organismes de sécurité sociale, le Parlement pourrait ainsi fixer en même temps et a priori, le champ de la liberté des collectivités et les conditions de la solidarité nationale entre territoires.

Quarante ans après les lois de l’Acte I de la décentralisation, l’occasion nous est donnée de moderniser fondamentalement notre organisation territoriale et l’équilibre des pouvoirs entre l’Etat et les collectivités locales. Le pays étouffe de son jacobinisme et de sa technocratie qui entravent et complexifient.

Écrivons ce pacte girondin, seul apte à restaurer la confiance entre les français et leurs institutions ; laissons respirer et vivre nos territoires.


Les signataires de cette tribune :

Jean-Christophe Cambadelis et Jean-Paul Huchon, ancien président de la Région Ile-de-France


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