Pour une refondation économique de la gauche

 

 

Pour paraphraser Pierre Mendès France, tout problème n’est pas économique mais le devient.

Les Français ne sont pas plus mal avisés dans leurs choix et leurs analyses que les gouvernants : le fait de ne pas approuver la politique du gouvernement n’est pas signe de bêtise. Dans une société durable, c’est l’économie qui est faite pour l’Homme et non l’Homme pour l’économie. Cela signifie que l’autonomisation de l’économie par rapport au politique, au social et à l’écologie, chère à Karl Polanyi, trouve aujourd’hui ses limites. La science économique doit se focaliser sur les sujets de préoccupation de la société et confronter la recherche à l’expérience. Elle est d’une grande vitalité et sa force de frappe a encore été accrue par la constitution des écoles de Toulouse et de Paris qui compte près de 150 chercheurs ; aux politiques de consulter les économistes, à ceux-ci d’inspirer ceux-là. 

Cette récession qui vient 

Les indicateurs macroéconomiques se retournent en même temps dans les principales économies sans que de véritables relais soient identifiés. L’épuisement des effets de la relance budgétaire américaine, la montée des incertitudes commerciales, l’endettement des entreprises, l’imprudence de la finance, la dynamique structurelle de la démographie et de la productivité vont peser sur la croissance. L’horizon, la durée et l’intensité de la récession dépendront des réactions coordonnées des politiques économiques. Le Coronavirus semble aujourd’hui servir d’étincelle à une récession qui serait probablement intervenue au plus tard après les élections américaines de novembre 2020.
Cette récession coïncidera avec la remise en cause des fondements de la nouvelle économie apparue dans les années 1990. La mondialisation est remise en question par certains pays développés inquiets de leurs déséquilibres commerciaux et de leur désindustrialisation, par la Chine qui cherche à réorienter sa croissance vers le marché intérieur, par la crise de la grande distribution, grand donneur d’ordre de la mondialisation ...

L’horizon, la durée et l’intensité de la récession dépendront des réactions coordonnées des politiques économiques

La digitalisation se heurte à son impact modéré sur la productivité mais aussi à une crise de confiance dans des géants du numérique et leur exploitation commerciale des données personnelles. La financiarisation rencontre des crises systémiques récurrentes. Le démantèlement de monopoles publics au profit d’intérêts privés ou l’exploitation à des fins commerciales de données privées doivent faire la preuve de leur intérêt pour le citoyen, le contribuable, le consommateur et les salariés.

Un système qui repose sur l’anesthésie des consommateurs et la précarisation des travailleurs n’est pas viable, d’abord parce que ce sont les mêmes, que les consommateurs sont plus conscients et responsables et que le maintien de la consommation repose aujourd’hui sur l’endettement, une compensation de la stagnation des salaires réels par des prestation sociales, la baisse des prix de certains produits et la consommation ostentatoire d’une minorité dont les revenus se sont accrus. Le creusement des inégalités et la crise de la classe moyenne dans les pays développés se muent en révolte mondiale des peuples contre la montée d’une nouvelle oligarchie de super-riches qui captent la fortune plus qu’ils ne la font ruisseler.

La science économique est réactive à ces évolutions. Elle a, de longue date, analysé les crises de la mondialisation. Elle sait se mobiliser sur les sujets émergents comme la montée des inégalités.

Le monde anglo-saxon a traduit ces réflexions dans les programmes économiques des partis et candidats. On y trouve des propositions d’augmenter les impôts des plus riches et des entreprises, de réguler la finances, d’ouvrir le capital aux salariés, d’investir massivement dans des infrastructures et l’écologie...

L’économie a longtemps été une composante essentielle de la réflexion de la Gauche, nourrie par un idéal de justice et inspirée par le marxisme ou le keynésianisme.

Y a-t-il aujourd’hui un divorce entre la Gauche française et les économistes ?

Plusieurs facteurs ont pu le laisser penser ou l’expliquer : d’un côté, le règne d’économistes néo-libéraux depuis les années 1970, de l’autre, une Gauche accusée de critiques fondées mais de solutions utopistes, de promesses électorales qui se brisent sur le réel et amènent la désillusion, de s’user dans la gestion, de se convaincre de l’absence d’alternative, de trop s’investir dans le sociétal, donnant ainsi le sentiment d’une fracture entre la Gauche et le Peuple. Pourtant, de nombreux think tanks de Gauche ont une réflexion économique et des productions de qualité. Le paysage éclaté de ces think tanks est à l’image de l’atomisation de la Gauche.

Construire une alternative

Nous, économistes, hauts fonctionnaires et cadres du privé issus des différents courants de la Gauche et des différentes écoles économiques, avons décidé de travailler ensemble pour construire une alternative. Nous prouvons ainsi que le dialogue est possible et appelons à une réconciliation.

Aux économistes, nous disons : rejoignez-nous pour relever deux défis.

Peut-on élaborer une autre politique économique ? Des travaux thématiques doivent viser à construire une dizaine de lignes directrices alternatives au consensus de Washington :

- Toujours plus ? Comment consolider et mesurer une croissance qui ne soit pas mesurée en seuls termes quantitatifs mais également en termes de progrès humain, socialement inclusif et environnementalement soutenable ?

- Augmenter les salaires ? Comment concilier progression des salaires, maîtrise des coûts, correction des inégalités de revenus et de patrimoine, équilibre des revenus du travail et des transferts... ? Faut-il un revenu universel ?

- De bons emplois pour tous ? Le plein emploi est-il de l’autre côté de la rue ? Quels sont les outils d’une politique du travail et de l’emploi ?

- Eduquons ? Quelle éducation de qualité ouverte pour tous ? Faut-il un revenu étudiant ?

- Plus, moins ou mieux d’impôt ? Quel niveau d’impôt et quelle répartition de la charge fiscale entre impôts directs/indirects, des particuliers/entreprises, sur le travail/le capital... ? Quels effets économiques et sociaux recherche-t-on (transition écologique, réduction des inégalités, allègement du coût du travail/capital...) ? Faut-il taxer les grandes fortunes, les multinationales, la rente, les robots... ?

- Une relance keynésienne ? quelles sont les priorités budgétaires ? Faut-il un plan Marshall pour investir dans les entreprises publiques (EDF, SNCF,...) et services publics ? Doit-on faire une relance budgétaire ? Faut-il des règles d’or et lesquelles ?

- Démondialisation ? Les conditions économiques et sociales, la transition écologique et les conditions de concurrence justifient-elles de protéger ponctuellement l’économie ? Quels éléments de protection doivent-ils et peuvent-ils être introduits au niveau européen ou national ? Peut-on, doit-on, et si oui comment, mener une politique économique en cohérence avec nos engagements et intérêts internationaux et européens ?

- Démocratie dans et de l’entreprise ? Comment rénover les rapports sociaux ? Comment mieux associer les salariés à la gouvernance des grandes entreprises ? Comment réguler l’influence des grandes entreprises sur la démocratie ?

- Une économie verte ? Quelle économie verte veut-on et comment et à quel rythme la mettre en place dans des conditions sociales optimales ? Quels emplois verts ? Doit-on et peut-on réindustrialiser la France ? Quelle politique agricole pour demain ?

- Mon ennemi c’est la finance ? comment réguler la finance et mener une politique monétaire au service de l’économie ? De nouvelles mesures non conventionnelles telles que l’assouplissement quantitatif pour les citoyens sont-elles nécessaires ?

Proposer à la Gauche de réinvestir de manière volontariste le champ économique et de co-construire ce programme, tel est le défi que nous souhaitons relever. Nous ne pouvons nous satisfaire de la dépression actuelle de la Gauche, faite d’asthénie, d’aboulie, d’atomisation... Nous voulons d’abord gagner la bataille des idées avant de gagner celle des cœurs. 

A défaut d’une alternative crédible à la politique libérale du gouvernement, le duel entre M. Macron et Mme Le Pen se matérialisera et avec lui son cortège d’inégalités croissantes, de précarité accrue et de violences sociales. A nous de faire en sorte que ce duel ne se produise pas.


Les signataires de cette tribune :

Jean-Christophe Cambadélis, Ancien Premier secrétaire du Parti socialiste et un groupe d’économistes, de hauts fonctionnaires et de cadres du privé soumis.es au devoir de réserve


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