707ème Jour de Guerre en Europe

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1/ Le fait du prince ; 2/ Attal patine ;3/ Le programme de Trump ; 4/ La Grande peur de l'Europe ; 5/ La fin de la France en Afrique ? ; 6/ Glucksman Ruffin : le sain débat ; 7/ Goodbye Lénine

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1/Le fait du prince

Les articles 49, 50, 50.1 de la Constitution organisent la déclaration de politique générale. Elle n'est pas une obligation. Comme il n'est pas obligatoire d'engager la responsabilité du Gouvernement. Mais il est d'usage que les gouvernements le fassent. Cela peut paraître formel et cela l'est au vu de nos institutions bonapartistes. Mais c'est ce qui distingue le fait du prince du respect du Parlement, même croupion. C'est ce qui distingue la verticalité du pouvoir de l'apparence de l'équilibre des pouvoirs. Aujourd'hui, G.Attal gouverne, décide, tranche du seul fait du président de la République. Le président méprise le Parlement : ce reproche quotidien d'une élection amputée. Macron n'aime pas l'Assemblée nationale en général, celle-ci en particulier. Elle lui a refusé la confiance sur la loi « immigration ». Il l'a punie en lui tordant le bras avec un texte d'inspiration d'extrême-droite et le soutien de cette dernière. Il poursuit dans cette voie en marginalisant symboliquement le Parlement dans l'organisation du pouvoir : le Parlement attendra son bon vouloir pour que son Premier ministre fasse sa déclaration et que l'on connaisse la totalité du Gouvernement. Cela va de pair avec l'instrumentalisation du Conseil constitutionnel. Pour obtenir "son" vote pour la loi « immigration » et rétablir symboliquement sa primauté, le président a "demandé" au Conseil constitutionnel de censurer les dispositions votées, dont l'exécutif savait qu'elles étaient inconstitutionnelles, mais nécessaires au vote de l'extrême-droite et de la droite. Le Conseil constitutionnel, après avoir rappelé à l'ordre l'exécutif pour s'être défaussé sur lui, a censuré 32 articles sur 88. Il l'a fait sur la forme plus que sur le fond, à part la préférence nationale. La manœuvre du prince président a ouvert un boulevard à l'extrême-droite. Elle peut légitimer son référendum sur l'immigration arguant maintenant de "l'inadéquation de la loi constitutionnelle au regard des besoins de la nation". Quand le fait du prince devient un méfait.

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2/Attal patine

Sondage après sondage, les Français apprécient la potentialité d'Attal mais ne le créditent pas. Il n'y a pas d'effet Attal. Les opinions positives de l'équipe Attal sont dans l'épure de celle d'Édouard Philippe ou de Jean Castex en début de mandat. Nous sommes dans une forme d'effet d'optique dû à la nouveauté. Il n'y a pas de dynamique. Le Premier ministre, à peine sorti de la tranchée, est déjà sous la mitraille. Il est cloué au sol. L'affaire AOC avec la ministre de l'Éducation embourbée par des problèmes à répétition, au point que l'on se demande déjà combien de temps elle va tenir. Et puis, il y a Dati avec ses affaires plein les bras, dont ses relations caucasiennes semblent une mèche longue. Le président du Sénat lui mitraille la proposition censée plaire à la gauche : le droit à l'avortement inscrit dans la Constitution et la condamne. La loi immigration, sanctionnée trente fois par le Conseil constitutionnel et les coups de clairon de Darmanin : "Ce sont les ajouts de LR qui ont été sanctionnés, pas notre texte." On imagine l'incrédulité des Français qui très majoritairement ont dit dans des sondages leur accord avec le texte, à l'unisson avec le Gouvernement et le président, voire ce dernier promulguer un texte qu'il avait encensé, qui est maintenant censuré mais toujours loué. Les mauvaises nouvelles n'arrivent jamais seules. C'est 8 milliards de moins-value fiscale pour le budget, réduisant les marges de manœuvre du Gouvernement. Et bien sûr, la crise agricole qui est à l'agriculture ce que fut la crise de la sidérurgie à l'industrie. Elle se développe et accapare les esprits. La France des tracteurs bloque la France. On en est déjà à un mort. Un édifice public a été dynamité. Une mutuelle agricole incendiée. Les esprits s'échauffent. Les pêcheurs se joignent au mouvement, la CGT appelle à converger. Le président ne peut monter en première ligne. Il est à New Delhi. C'est donc Attal qui s'y colle. Mais tout lâcher alors que la colère est ascendante relève de la faute de débutant. On n'éteint rien, on alimente tout. La FNSEA ne peut, dans ce début de contestation, appeler à rentrer de peur d'être débordée. Et si, comme probable, le mouvement se renforce, E. Macron devra intervenir, ce qui sera un mauvais point pour le chef du Gouvernement. G. Attal, censé représenter le mouvement, est déjà enlisé avant d'avoir vraiment commencé.

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3/Le programme de Trump

De Santis, le gouverneur du Texas, jette l'éponge dans les primaires des Républicains aux États-Unis. La route de D. Trump est dégagé, comme le confirme l'élection du New Hampshire. Nikki Haley, sa concurrente, est le dernier bastion de résistance des néoconservateurs anti-Trump. Mais la lame de fond semble irrésistible. Celle-ci est due, tout autant à l'offre populiste de l'ancien président, qu'au refus de voir Biden faire un nouveau mandat et aussi à la césure dans le parti démocrate pour cause de conflit au Proche-Orient. Mais tout à notre détestation du milliardaire réactionnaire, n'oublions pas le contenu de cette réaction. L'ancien président républicain revient entouré par une équipe redoutable et structurée sur un programme isolationniste libéralo-illibéral. C'est d'ailleurs l'originalité de Trump. Avec lui, le Parti Républicain mute en parti trumpiste. Une partie du peuple américain vibre littéralement aux accents anti-oligarchiques et nationalistes du discours de D. Trump. C'est la base de l'adhésion totale d'une partie de l'électorat dont on a vu le ressort profond dans la prise du Capitole. Économiquement, le projet de D. Trump est classiquement libéral, protégeant les profits et ignorant les petits. Mais sa gouvernance se veut autoritaire, il ne s'en cache pas. L'objectif est spectaculaire avec le projet d'une purge judiciaire. Il veut agir comme beaucoup de gouvernements de ce type. Il veut remettre en cause l'indépendance de la justice par une chasse aux "mauvais juges". Il met un signe égal entre les élites, la justice, les "démocrates gauchistes". D. Trump s'engage sur le chemin de l'illibéralisme. Et que dire de sa phrase lâchée dans un meeting : "L'immigration empoisonne le sang des Américains". Nous sommes là dans la rhétorique des identitaires suprémacistes blancs. Enfin, le magnat de l'immobilier partage l'opinion d'une partie de l'Amérique. La présence américaine dans le monde coûte trop cher à la population des États-Unis. Ceci, au détriment des infrastructures plutôt délabrées, du soutien intérieur, et de la compétition avec la Chine. Cette tentation du retrait aurait des conséquences en termes militaires, alléguant la pression sur Poutine. L'Europe paierait son soutien sans combat erratique à l'Ukraine. Mais il y aurait aussi quelques conséquences dans le commerce. L'Amérique protège de diverses façons son marché intérieur et Trump veut l'accentuer. Le retour de Trump à la Maison Blanche n'est pas le retour du clown blanc, mais celui d'un homme véhément qui a un plan.

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4/La Grande peur de l'Europe

Une grande peur s'est emparée de l'Europe suite aux signes envoyés à la Russie par Trump. Pour autant, ils ne veulent pas dire blanc-seing en cas d'agression de la Russie contre un pays de l'OTAN. Poutine le sait et Trump aussi. Poutine, à moins d'un effondrement ukrainien, n'a pas les moyens d'envahir à cette étape les pays Baltes. Et il s'agit pour Trump d'obtenir que l'Ukraine lâche le Donbass et la Crimée. La Russie stoppe son agression et les États-Unis leurs sanctions. La présence russe aux portes de l'Europe obligera celle-ci à consacrer une part plus importante de son budget à la défense militaire. Et donc soulagera économiquement, budgétairement et militairement les États-Unis. Mais ce "deal" trumpien ne serait qu'un Munich. Poutine peut faire une pause, mais son économie de guerre et son idéologie le conduisent à reconstruire un glacis et donc à reprendre l'offensive, et sa "Reconquête de l'Ouest

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5/La fin de la France en Afrique ?

Wang Yi, ministre des affaires étrangères de Chine, vient de quitter l'Afrique de l'Ouest. Antony Blinken, secrétaire d'État américain, lui a succédé. Ce chassé-croisé est emblématique. La Chine et les États-Unis veulent se partager les dépouilles de l'hégémonie française en Afrique de l'Ouest. Et la Russie n'est pas loin avec ses troupes Wagneriennes. C'est l'échec le plus emblématique d'union, bilan tristounet de la politique étrangère du Président Macron. Le recul de la France dans le monde est patent. Il suffit pour s'en convaincre de regarder notre incapacité à impulser une ligne visible au Proche-Orient, ni sous le drapeau de la France ni sous celui de l'Europe. Le reflux français en Afrique, dû à l'incapacité à passer de la "France-Afrique" à la "Française" en Afrique, va se faire sentir aux Nations Unies où le poids de la France n'est pas seulement dû à sa place au Conseil de Sécurité, mais au bloc qu'elle constitue avec de nombreux pays africains. Et cette situation ne provoque aucun débat sur la stratégie française. Nous sommes boutés hors de nos positions, et on peut à juste titre estimer qu'il était temps de mettre fin aux derniers lambeaux de l'empire colonial, mais la France est sans autre alternative que le silence. Il n'est pas encore temps de faire le bilan de dix ans de politique étrangère. Mais on peut déjà dire que ces années furent celles d'un effacement sans perspectives.

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6/Glucksmann Ruffin : le sain débat

Je suis, comme beaucoup, en soutien de la liste Glucksmann aux élections européennes car il est avant tout membre du groupe PSE au Parlement européen. Et les sociaux-démocrates européens sont à une trentaine de voix de la majorité, majorité nécessaire pour stopper la vague nationaliste qui déferle sur l'Europe, ce qu'aucun autre groupe ne peut faire. À l'élection européenne, les enjeux sont européens et là ils sont décisifs. Ils mettent en cause l'Europe elle-même, la guerre et la paix, l'inflation et l'écologie, l'énergie, excusez du peu. La compétition dans la gauche en France est secondaire au regard des défis européens. Le débat est : quel est le vote utile pour les relever ? Et la réponse est le candidat en France du PSE. Même si évidemment un bon score relancerait la possibilité d’une candidature sociale-démocrate à la présidentielle, assurait de bonnes municipales et la marche à la refondation de la gauche de gouvernement. Pour autant, le débat épistolaire entre Ruffin et Glucksman est sain. La difficulté réside dans le fait que le leader de Place publique est un trait d'union et Ruffin un trublion. Glucksman ne représente pas les socialistes, les écologistes et encore moins les communistes. Pas plus que le député de la Somme n'est le porte-parole de la France insoumise, verrouillé par un triumvirat. L'un comme l'autre ont une équation originale et sont médiatiquement forts des impasses de la gauche. Pour autant, ces échanges préfigurent une autre union qu'une subordination aux oukazes des uns et des autres. Laissons le débat entre le hors-sol et le solitaire, le mépris de classe et l'épris de classe, les populaires et les populistes, etc. Ou encore les fédéralistes et les souverainistes sachant que ce débat est soit prématuré pour l'un soit derrière nous pour l'autre. Mais concentrons-nous sur l'union de la gauche. L'union est un compromis et non une subordination. Et son but est de gouverner, pas de témoigner. Ruffin dit que seule la radicalité peut l'emporter. Et pour ce faire, il faut réintégrer dans le champ de vision à gauche les déclassés des villes et des campagnes. On peut mettre au centre le précariat sans pour autant être dans la confrontation frontale et la rhétorique populiste. Glucksmann lui oppose une hégémonie à retrouver dans la classe moyenne. Cela n'impose pas pour autant un discours centré sur les seuls cœurs des métropoles. Si la radicalité est interpellante, elle n'est pas gagnante. Ne serait-ce que parce qu'elle ne rassemble pas une majorité de Français aujourd'hui très à droite. Pas plus que la mobilisation d'un boboland autour des seuls droits de l'homme et de l'écologie éloignée des blessures sociales. Le compromis entre les deux offres réside dans un programme social de transformation responsable. Il s'agit de rassembler les Français autour de la question sociale-écologique de manière responsable. Il s'agit de présenter un projet aux Français de rupture avec l'indifférenciation libérale ambiante. Mais aussi avec le couteau sans lame du populisme de gauche qui propose une rupture contestable sans les moyens électoraux de l'imposer. Et donc si le débat à gauche est nécessaire, le combat pour une gauche réaliste renouvelée est primordial. Le succès souhaité et souhaitable de Glucksmann ne peut être obtenu en délaissant la question sociale en Europe, et si Ruffin en est l'aiguillon, ce débat peut être utile.

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7/ Goodbye Lénine

Lénine et son centenaire... On en est encore à débattre : faut-il le déifier ou l'ostraciser ? Entre la conception policière de l'histoire chez quelques apostats et l'hagiographie sans recul chez les derniers croyants, nous ne sommes pas trop avancés. Dans son mausolée sur la place Rouge, adossé au Kremlin, la momie de Lénine s'en moque un peu, et l'héritier de la Tchéka, Poutine, tout autant. Lénine est un révolutionnaire professionnel qui a pu et su profiter des événements. Tolstoï, dans Guerre et Paix, plaide pour le déterminisme historique implacable. Il laisse au libre arbitre qu'un rôle mineur. Ce qui ferait de Lénine un irresponsable instrument de l'Histoire. Tout aussi néfaste au raisonnement, la toute-puissance de l'individu dans l'histoire transformant Lénine en surhomme infaillible, rançon d'une légende commencée de son vivant, puis voulue par Staline pour mieux souligner la sienne.

Revenons au fait. Il y a quand même d'abord et avant tout la Russie précédant la Révolution de 1917. Elle est dans un cycle révolutionnaire de l'époque : la Commune de Paris en 1870, la Révolution russe de 1905, les Révolutions chinoises à partir de 1911, les Mexicaines de 1910-1920 ou la Révolution allemande de 1918.

La Révolution d'Octobre se déroule dans un pays en détresse économique, avec une misère paysanne extrême, une pauvreté ouvrière indécente. La Russie est écrasée par une guerre qui n'est pas la sienne et tourne à la boucherie humaine. Le Tsar de toutes les Russies, Nicolas II, sorte de Louis XVI russe, est faible, évanescent, insouciant, enfermé dans l'entre-soi d'une aristocratie russe décadente et autiste. Il ne veut ni être son grand-père Alexandre II libéral, ni son père Alexandre III autoritaire. La Russie est un pays où les pogroms contre les Juifs sont légion en 1821, 1859, 1871, 1881, 1905. Et ils ressurgissent en émeutes anti-juives en 1917 avec les déserteurs de l'armée en guerre. Un pays où la police secrète est implacable. L'Okrana peut, dans une cour martiale à huis clos, déporter ou fusiller sans preuve. Un pays où l'industrialisation naissante se développe à une vitesse vertigineuse sur la base d'une exploitation épouvantable. Un pays où l'intelligentsia est partagée entre les slavophiles et les occidentalistes. Ivan Tourgueniev, dans "Père et Fils", s'oppose aux nihilistes avec ses héros positifs, pendant que Dostoïevski lui répond en défendant l'âme russe. Il met d'ailleurs en scène la nature "hors-sol" de Tourgueniev dans "Les Possédés" ou "Les Démons". Un pays, enfin, où les populistes, les nihilistes, les terroristes pullulent et assassinent. Le Premier ministre "libéral" Stolipyne en fait les frais, tué à Kiev en 1911. Nicolas II plonge alors dans une torpeur et se protège par une répression féroce. La guerre de 1914 va être un accélérateur de l'histoire qui légitime la révolution et finit par donner le pouvoir à la faction la plus radicale de la Révolution contre l'absolutisme.

Au début, Lénine est, comme la plupart des révolutionnaires russes, défavorable à une révolution prolétarienne. Dans le tome 3 de ses œuvres complètes (43 tomes, s'il vous plaît), il écrit en 1899 sur "Le Développement du capitalisme en Russie". Il s'interroge sur la contradiction entre le capitalisme russe galopant et une Russie encore féodale. Il observe une bourgeoisie trop dépendante de l'aristocratie, pendant que la paysannerie est encore politiquement "arriérée", même si quelques-uns se sont enrichis grâce au décollage économique. La révolution bourgeoise, comme en France en 1789, est donc envisagée. C'est le passage nécessaire à la révolution prolétarienne. Mais en 1901, Lénine rompt avec ce constat dans un livre : "Que Faire ?". Ce texte est d'abord le produit d'un combat interne pour la majorité dans le Parti Social-Démocrate russe. Lénine se déclare pour se faire hostile à tout compromis avec l'aile bourgeoise de la révolution jugée inconséquente. Mais surtout, il avance une conception du parti politique révolutionnaire centralisé, militarisé et censé compenser ainsi la faiblesse de la phase démocratique que ne peut assumer la bourgeoisie.

Lénine verra plus tard, dans le basculement de la social-démocratie allemande le 4 août 1914 dans le chauvinisme en votant les crédits de guerre, la confirmation du nécessaire refus d'un soutien à la bourgeoisie contre l'aristocratie. "Que Faire ?" s'attire les critiques de Léon Trotsky sur la nature du parti, "Pitoyable caricature du jacobinisme qui aboutirait à la domination d'un dictateur" (Nos Tâches Politiques, 1904). Il ne croyait pas si bien dire. Rosa Luxembourg en Allemagne dira la même chose, ainsi que Pannekoek aux Pays-Bas et Léon Blum en France. L'échec de la révolution de 1905 fonctionne chez Lénine comme une confirmation de son anticipation. Il réaffirme que la bourgeoisie n'a pas la capacité de conduire la Révolution. Il faut, dit-il alors, l'alliance ouvriers-paysans, sous la dictature du prolétariat, pour réaliser la réforme agraire. Ce qu'il théorise dans un livre "Matérialisme et Empiriocriticisme" en 1908. Il y définit le duel philosophique entre l'idéalisme et le matérialisme, c'est-à-dire le duel entre le prolétariat et la bourgeoisie. Il ne laisse pas de place à une 3ème voie à l'idéal. Il y définit le duel philosophique entre l'idéalisme et le matérialisme, c'est-à-dire le duel entre le prolétariat et la bourgeoisie, à l'idéalisme et au compromis historique. Cette thèse philosophiquement étayée va avoir de lourdes conséquences pour la Russie et pour la Gauche dans le Monde. Encore aujourd'hui, une grande partie de la Gauche dite radicale fonctionne sur ce préjugé philosophique. En 1917, elle scelle la stratégie de la fraction la plus révolutionnaire de la révolution. Un parti bolchevique, expression consciente du processus historique inconscient, un parti qui guide les masses à la révolution prolétarienne même si les conditions ne sont pas réunies. Après la révolution de février 1917, Lénine reprend cette position dans ce qu'on appellera les thèses d'avril. Il ne s'agit pas d'exiger du gouvernement "bourgeois Kerenski", c'est une capitulation, dit-il, mais de démasquer celui-ci. Cette tactique sera payante. Aucune transition démocratique, aucune coalition politique, "tout le pouvoir aux Soviets", donc au parti bolchevique. Lénine accompagne la révolution, la chevauche, encourage sa dynamique échevelée et conquiert le pouvoir. Trotsky dira dans l'histoire de la révolution russe : "l'histoire a tranché". Cette stratégie politique, légitimée par la victoire, deviendra la philosophie du régime face à la contre-révolution de Denikine ou Wrangel, aux révoltes anarchistes de Kronstadt et de Makno, à la tentative de coup d'État du général Kornilov, à la paix séparée avec l'Allemagne, au désastre économique, à la famine, etc., tout doit procéder du "point de vue prolétarien" qui est celui du régime. La NEP (Nouvelle Économie Politique) tente au début des années 20 une timide réponse "bourgeoise", mais sans lendemain. Lénine est prisonnier de son duel philosophique. Petit à petit, le but devient le moyen : la préservation du parti bolchevique, fusionnant avec l'État et ses privilèges. Et ce corps d'État est la "raison sociale" de la bureaucratie soviétique. La dictature du prolétariat devient celle du parti et ouvre le chemin à la dictature de Staline tout court. Le présupposé prolétarien devient la bible d'un mouvement communiste qui s'étendra sur toute la planète avant de s'effondrer dans un grand fracas. Il n'avait plus comme légitimité que la défense de la Russie, patrie du prolétariat. Alors, sans la Russie d'avant 1917, pas de Révolution, sans révolution pas de Lénine, sans Lénine pas de victoire, sans victoire pas de Staline et sa dictature barbare, ses millions de morts et de déportés. Il n'y a pas de continuité mécanique dans cette histoire. Mais un enchevêtrement de causes et d'effets, et Lénine est un de ses maillons. Mais dire que Lénine c'est Staline, c'est aussi juste que de dire que l'œuf est responsable de l'omelette. Quant à dire que Lénine n'y est pour rien, c'est dire qu'on peut faire une omelette sans œufs.

À dimanche prochain !

 

Au moment où la Nupes s'est décomposée, un nouvel axe de recomposition se constitue : le Programme Fondamental. 

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LE POUVOIR D’AGIR

Le Lab de la social-démocratie vient d’élaborer un « programme fondamental » intitulé Le Pouvoir d’Agir, qui vise à rénover les idées de la gauche réformiste en France. LeJournal.info a décidé de publier les principales réflexions issues de ce travail collectif. Pour y avoir accès cliquez ci-dessous sur les quatre liens :

A très bientôt,

JEAN-CHRISTOPHE CAMABADÉLIS